UEFA et Super Ligue : 30 ans de chantage et de réformes

Écrit par C.Opposée, le 29 mars 2022 à 07:29. Mis à jour le 29 mars 2022 à 14:59.

UEFA et Super Ligue : 30 ans de chantage et de réformes Accès libre

Les projets et rumeurs de Super Ligue ne datent pas d’hier. L’épisode de 2021 s’inscrit dans une histoire vieille de plus de 30 ans au cours de laquelle une poignée de clubs n’a cessé de brandir une menace très efficace pour convaincre l’UEFA de céder à leurs exigences.

L’édition 1987/88 de la Coupe des clubs champions, ancêtre de la Ligue des champions, est selon de nombreux récits le point de départ du bouleversement du format des coupes européennes. La compétition était alors un tournoi à élimination directe avec matches aller-retour entre les 32 meilleures équipes ayant remporté leurs championnats nationaux l’année précédente, en plus du tenant du titre. Le hasard du tirage au sort fit que le Real Madrid, club le plus titré, et Naples, emmené par sa star Diego Maradona, s’affrontèrent dès le premier tour. Silvio Berlusconi, magnat italien des médias qui venait de racheter l'AC Milan, y vit une anomalie à corriger, comme il le confirmera quatre ans plus tard dans un entretien au magazine World Soccer : “La Coupe des clubs champions est devenue un anachronisme historique. Le fait qu’un club comme l'AC Milan puisse être éliminé au premier tour est un non-sens économique. Ce n’est pas moderne.”

Pour Berlusconi, la C1 était loin d’exploiter le potentiel énorme du football européen. Si les clubs les plus prestigieux et les plus populaires du continent s’affrontaient plus souvent, les droits TV et sponsoring des compétitions pourraient s’envoler. L’idée n’était pas complètement nouvelle, mais Berlusconi s’activa comme personne ne l’avait fait avant lui. Après avoir tenté de convaincre Ramon Mendoza, président du Real Madrid, il engagea en 1988 l’agence de publicité Saatchi & Saatchi qui mit sur pied un projet avec 18 équipes (dont Anderlecht les Glasgow Rangers, puis par la suite Bordeaux, le PSV et Göteborg notamment). 

Le projet fut rejeté par l’UEFA mais avait convaincu beaucoup de gens guidés par un mélange de cupidité et de volonté sincère de créer la meilleure compétition possible. Pour contenter les clubs et s’éviter une bataille juridique à l’issue incertaine (Berlusconi agitait déjà la menace d’un boycott) tout en permettant aux fédérations de garder un contrôle sur les coupes d’Europe, l’UEFA fit ce qui définira son approche pour les 30 années suivantes : elle accepta un compromis. La proposition du président des Glasgow Rangers, Campbell Ogilvie, fut jugée acceptable car moins radicale que celle de Berlusconi : il ne s’agissait que de remplacer les quarts de finale et demi-finales par une phase de groupes.

Le changement fut approuvé par un vote des 35 fédérations membres à un congrès extraordinaire de l’UEFA en 1991 et la nouvelle compétition lancée l’année suivante. Une agence marketing suisse, TEAM Marketing, prit alors en charge le concept commercial et créa un produit entièrement pensé pour la télévision qui allait rapporter toujours plus d’argent aux clubs. Ces derniers ont rapidement imposé une redistribution des revenus basée en partie sur des critères de taille de marché (donc favorables aux pays les plus développés), tandis que le nouveau format permettait d’introduire une phase de groupes pour créer plus de matches. 

Dès l’édition suivante, les demi-finales furent réintroduites après cette phase de groupes. En 1994/95, on passa à quatre groupes de quatre équipes pour doubler le nombre de rencontres de poules. Puis la saison 1997/98 fut celle du prochain changement majeur : la compétition s’ouvrit pour la première fois aux deuxièmes des huit principaux championnats. Ces réformes successives furent toutes obtenues de la même façon que la création de la Ligue des champions. Une fois que les clubs ont compris que l’UEFA n’avait que très peu d’arguments à opposer à leurs menaces de sécession (en particulier après l’arrêt Bosman, qui affaiblit l'association), ils n’ont cessé de réclamer des changements pour rendre la compétition plus attractive et donc plus lucrative.

L’année 1998 marqua un nouveau tournant avec une nouvelle proposition de Super Ligue : quatre groupes de huit équipes, soit 14 journées de poules, mais surtout 16 membres permanents. Le projet était alors porté officiellement par l’agence de droits italienne Media Partners, et comptait Silvio Berlusconi ainsi que Lorenzo Sanz (Real Madrid) parmi ses plus grands défenseurs. La promesse pour les clubs était alléchante : une simple participation devait garantir 130 millions de francs, soit plus que ce que remportait alors le vainqueur de la Ligue des champions. Le projet évolua rapidement vers un format plus ouvert à 36 équipes réparties en trois groupes de douze, avec 18 clubs fondateurs révocables tous les trois ans ainsi que 18 champions nationaux. 

L’UEFA menaça les frondeurs d’exclusion puis mit sur pied un groupe de travail avec cinq clubs européens pour proposer une réforme qui fut acceptée par tous : à partir de 1999, la compétition serait ouverte aux troisièmes et quatrièmes des plus grands championnats. Elle commencerait par une première phase avec huit groupes de quatre équipes, suivie d’une deuxième phase avec quatre groupes de quatre. C’est aussi cette réforme qui a enterré la Coupe des vainqueurs de coupe.

De cet épisode est né le G14, un groupe de clubs qui militait directement pour augmenter le nombre de matches et donc les recettes des coupes d’Europe, voire pour créer une compétition fermée ou semi-fermée. En 2002, l’UEFA remporta une bataille en imposant la disparition de la deuxième phase de poules à partir de 2003/04 malgré l’opposition du G14… qui brandit à nouveau sa menace de Super Ligue mais dut se résigner face à la pression des diffuseurs qui préféraient retrouver un format plus direct. Le G14 fut dissous en 2008, sous la présidence de Michel Platini, pour laisser place à l’ECA, une association qui représente un plus grand nombre de clubs et qui dispose d’une représentation officielle à l’UEFA : d’abord au sein du comité des compétitions inter-clubs puis à différents niveaux de hiérarchie au fil des années, jusqu’à obtenir la création de l’UCC SA en 2017, joint-venture entre l’UEFA et l’ECA qui joue un rôle croissant dans la commercialisation des droits.

Cette régularisation du rôle et du pouvoir des clubs leur a permis à de faire entendre leurs voix plus facilement, mais aussi à l’UEFA de superviser et contrôler les discussions dans une logique de collaboration transparente. L’ECA est reconnue comme le seul organisme représentant les intérêts des clubs au niveau européen. Sa création signifie qu'aucune décision concernant le football de clubs ne peut être prise par l’UEFA sans leur consentement préalable, mais l’inverse n’est pas nécessairement vrai. Florentino Pérez déclarait dès son retour à la présidence du Real Madrid en 2009 que les équipes devaient convenir d'une nouvelle Super Ligue européenne qui garantit que les meilleurs jouent toujours les meilleurs, ce qui ne se produit pas en Ligue des champions”. Un nouvel épisode de rumeurs et de menaces a montré que certains clubs n’hésitaient pas à agir dans le dos de l’ECA et de l’UEFA pour défendre leurs intérêts. 

Cet épisode a abouti en 2016 à une énième réforme en faveur des clubs les plus puissants : à partir de 2018, les quatre premières nations au classement UEFA ont disposé de quatre places qualificatives directes, de quoi constituer un filet de sécurité plus important. De plus, la répartition des revenus a été modifiée pour intégrer un critère de résultats historiques basé sur les 10 dernières saisons. Les discussions menées au sein de l’ECA ont permis d’écarter plusieurs propositions encore plus élitistes, dont celle d’une qualification sur invitation de ceux ayant remporté la Ligue des champions un certain nombre de fois.

L’histoire récente montre donc que la menace de la création d’une Super Ligue a été utilisée pendant 30 ans par un groupe de clubs influents afin de forcer l’UEFA à réformer ses compétitions à leur avantage. Si la raison invoquée au départ était de créer une épreuve plus intéressante pour les fans, il est devenu clair au fil du temps que le but était avant tout d'asseoir une domination économique et sportive. Si les clubs pouvaient prétendre dans un premier temps qu’ils voulaient augmenter les revenus pour l’ensemble du football européen, leurs exigences ont rapidement porté par la suite sur un système de qualification et de répartition des revenus asymétriques en faveur de quelques pays. L’UEFA, fragilisée par le flou juridique autour de son monopole, doit alors se résoudre à accepter et promouvoir des compromis pour éviter de perdre tout contrôle.

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