Chouchou de Carlo Ancelotti et de Marcelo Bielsa, Federico Valverde a dû vaincre sa timidité maladive pour devenir ce “milieu total” du Real Madrid et de la Celeste. Un combat contre lui-même que le taiseux Uruguayen a mis du temps à gagner… Par Thomas Broggini, à Montevideo
La camionnette Subaru 600 gris métallique modèle 1982 s’immobilise dans un bruit de ferraille affreux. Dans les parages, personne ne bronche. Silence absolu. L’habitude, sûrement. L’homme qui s’extirpe laborieusement de la carcasse de l’utilitaire, la cigarette aux lèvres, le bonnet noir enfoncé jusqu’au creux des joues, vient ici quotidiennement, “qu’il fasse 40 degrés ou moins dix”. Walter Borges, 58 ans, n’est pas chez lui, mais c’est tout comme. Il gueule le prénom de chaque piéton qui passe au pied de la devanture rouge en lambeaux. “Je suis plus souvent ici qu’à la maison”, explique-t-il, crampons moulés aux pieds, chaussettes blanches par-dessus le pantalon de survêtement, anorak noir serré autour d’un ventre rebondi. C’est un samedi matin d’immense ciel bleu, 13 degrés, fin juillet, l’hiver sud-américain.
Plutôt que de passer le week-end en famille, Borges préfère comme d’habitude s’assurer que tout roule au club d’Estudiantes de la Union, dont il est le président bénévole depuis 2020, et dont le nom et les couleurs rouge et blanc font référence à un club de l’Argentine voisine : l’Estudiantes de la Plata de Juan Sebastian Veron. “Un ami, fanfaronne le dirigeant. Notre club a été fondé le 13 avril 1968 par un fan du Pincha (surnom d’Estudiantes de la Plata, ndlr), à une époque où le club régnait sur le continent.” L’Estudiantes uruguayen, lui, ne règne sur rien du tout. Il compte 120 licenciés, survit avec un budget mensuel de 1800 euros et rêve d’installations qui ressemblent à autre chose qu’à un vieux stade à l’abandon. Peintre en bâtiment dans le civil, Borges entre dans le modeste local au carrelage rose déglingué, présente les toilettes sans papier ni savon, traverse la salle “VIP” réservée aux asados et s’installe devant l’unique terrain où des mômes habillés en Luis Suarez ou en Darwin Nunez trottinent mollement. “Voilà, c’est là : Federico Valverde a commencé le football sur ce billard”, ironise-t-il, fier de sa blaguounette. À vrai dire, c’était pire avant. Lorsque le milieu du Real Madrid portait le maillot d’Estudiantes de la Union, entre ses deux ans et ses neuf ans, le semblant de pelouse actuelle était “un champ de pierres”.
C’était les années 2000, l’Uruguay prenait de plein fouet la crise économique du voisin argentin et le quartier de la Union était surtout connu pour être un repaire de dealeurs. Proche des Valverde, qui vivaient à trois rues du stade, Alejandro Biestro a vu le coin s’améliorer doucement, suivant le rythme d’un pays devenu l’un des plus stables d’Amérique du Sud. “Aujourd’hui, c’est une zone globalement tranquille et sans histoires, où les gens bossent dur pour s’en sortir”, définit cet ancien collègue de travail de Doris, la maman du petit Federico, avec qui il vendait des vêtements d’occasion sur les marchés de rue, pendant que Julio, le papa, s’en allait faire ses heures au casino local qui l’employait. Une histoire uruguayenne banale, dans laquelle le héros local, un timide maladif nourri aux pâtes au fromage, a comme tous les gamins du coin croisé très tôt la route du football, son seul moyen d’expression. “C’était un taiseux, surtout avec ceux qu’il ne connaissait pas, confirme son ancien coéquipier Gaston Valles, parti vivre à Madrid pour se rapprocher de son ami d’enfance. Mais quand tu lui mettais un ballon dans les pieds, il n’y avait plus aucun souci. La qualité de passe, la frappe de balle, la vision du jeu: tout était déjà là. Il a construit sa garra sur ce terrain. Il n’a pas changé, il n’oublie jamais d’où il vient.” Pourtant, hormis un vieux ballon Adidas dédicacé qui trône