Qualifié pour son premier mondial en 2002, l’Équateur est depuis sorti des bas-fonds du football international pour devenir une sélection redoutée sur tout le continent sud-américain. Une révolution qui doit tout, ou presque, au club d’Independiente del Valle, et à son propriétaire, le roi du poulet Michel Deller.
Comme tous les gens de son rang, à savoir les multimillionnaires, Michel Deller est un homme que son cercle de collaborateurs qualifie d’“assez difficile à joindre”. L’agenda de celui que les Équatoriens aiment surnommer “le Steve Jobs du football” est pourtant relativement simple à suivre: à chaque sortie d’Independiente del Valle, le club qu’il a racheté en 2007 dans l’indifférence générale, Michel Deller est là, en tribune, ses cheveux bruns plaqués en arrière, ses lunettes rectangulaires sur le nez, les yeux rivés vers le terrain –un supporter lambda, en somme. C’est le cas ce mardi soir de mi-juillet dans les courants d’air frigorifiques des 2850 mètres d’altitude de Quito, où Independiente del Valle reçoit le Vasco de Gama à l’Estadio Olimpico Atahualpa, pour les barrages de la Copa Sudamericana. Dans son imperméable bleu nuit, le patron de 65 ans signe des ballons et des maillots en montant les marches vers son siège, tape la bise aux stadiers, salue chaque fan qui s’approche, enchaîne les selfies dans un sourire crispé, échange deux-trois mots avec des habitués et file enfin s’asseoir pour observer les siens laminer l’ancienne écurie de Dimitri Payet (4-0). Le businessman est la star, mais lui semble plutôt se considérer en mission. “Le football est ma passion depuis tout petit, se contente-il de rétorquer depuis les gradins clairsemés, d’où dépassent des grues, des arbres et des immeubles fatigués. C’était même mon prétexte pour aller à l’école quand j’étais plus jeune et que je jouais gardien. Depuis, le virus ne m’a jamais quitté. Parler d’affaires ne m’intéresse pas, je ne suis pas dans ce sport pour gagner de l’argent.” Ce qui n’empêche pas ce “grand admirateur du jeu espagnol” d’avoir également mis la main sur le CD Numancia (D4 espagnole), en 2022, puis l’Atlético Huila (D2 colombienne), en 2023.
Drôle de personnage, Michel Deller. Un homme dont un intermédiaire ayant conclu divers deals avec lui explique qu’il est capable “de se pointer en tenue de camouflage dans l’un de ses propres centres commerciaux pour vérifier que le ménage a été bien fait, juste avant d’aller voir un match des U13 d’Independiente del Valle, dont il connaît le nom de chaque joueur”. De lui, on sait surtout qu’il compte parmi les plus grosses fortunes d’Amérique du Sud, grâce à des investissements dans l’immobilier, les centres commerciaux et des franchises de l’enseigne de fast food KFC. Qu’il est “de confession juive”, né à Quito de parents germano-polonais expatriés en Équateur “pour fuir la seconde guerre mondiale”, et “à jamais reconnaissant” envers ce pays qui a accueilli sa famille. Et donc qu’il a révolutionné le football local en pariant il y a dix-huit ans sur un club de D3 sans palmarès, l’Independiente José Teran, fondé par un cordonnier en 1958 à Sangolquí (96 000 habitants), dans la banlieue sud de la capitale. Depuis, le roi des chicken wings semble courir après le temps perdu. Après deux montées en trois ans,