Il a quitté le foot pro sans regret, à 32 ans, le corps usé par les blessures, et surtout lassé par ce monde dans lequel le physique, la gagne et les statistiques ont pris toute la place. Idole de la génération Cherki, Eden Hazard n’a jamais vraiment conçu le foot autrement que comme un jeu, où dribbler et s’amuser primaient sur tout le reste. Entretien avec un Belge qui aurait dû naître au Brésil.
On associe souvent la culture du dribble aux banlieues et aux quartiers populaires, aux favelas ou aux bidonvilles. Toi, tu as plutôt grandi au milieu des champs, à Braine-le-Comte, dans le Hainaut wallon. Parce que tout se dribble, même les grandes lois sociologiques de l’art en la matière ?
C’est vrai que quand tu regardes les grands dribbleurs, la plupart viennent de la rue. Moi, je suis un peu l’exception, je suis un mec de la campagne, Braine-le-comte, c’est un petit village. Mais à côté de chez moi, il y avait une cité, et on allait souvent y jouer avec mes frères. Donc il y avait quand même ce petit truc où on se retrouve entre potes, on joue sur le bitume, et puis il faut rentrer le soir pour manger. Sinon, il y avait la cour de récré, moi j’allais à l’école pour jouer au foot, mettre des petits ponts et m’amuser avec mes potes. Et puis bon, chez les Hazard, on a toujours bien aimé toucher le ballon, de toute façon.
C’est une histoire de famille, le foot ?
Je vais pas dire que c’était tout tracé, mais bon, mon papa a joué au foot, ma maman a joué au foot, et on habitait juste à côté du terrain de foot. Moi et mes petits frères, on a tout de suite eu l’amour du ballon. Je me rappelle, j’avais 5 ou 6 ans, j’allais voir mon papa jouer, je traînais dans les vestiaires avec les joueurs, on allait à la cafétéria, après on chantait. Pour moi, le foot, c’était pas le Santiago Bernabeu avec 80 000 personnes. C’était une ambiance de village où tout le monde s’entendait bien, où on rigolait. Le plaisir, quoi.
Ton père jouait libéro, donc a priori, c’est pas forcément de lui que tu tires ton goût pour le dribble…
C’était un libéro assez classe, je crois! J’étais petit donc je ne me souviens plus exactement comment il jouait, mais de ce que j’ai entendu, il avait quand même une certaine technique. Après, moi, c’est simple, le dribble c’est parce que très vite j’ai regardé Zidane. En 1998, j’ai sept ans, et c’est vraiment le moment où je me dis : “Ok, moi je veux être comme Zizou.” Il faisait des trucs sur le terrain, il n’y a que lui pour savoir faire ça, ses contrôles et tout. Whaouh, quoi. Pendant l’Euro 2000, l’équipe de France s’entraînait en Belgique, à Wavre, un village à 30 minutes de chez moi, on avait été les voir avec mon père et mon frère. J’avais neuf ans à ce moment-là, j’étais un bébé. Mais j’étais à fond derrière l’équipe de France, avec Thierry Henry aussi, que j’adorais.
Qu’est-ce qu’il avait de particulier, Zidane, dans sa façon de dribbler ?
C’est pas seulement sa façon de dribbler, c’est son élégance, en fait. C’est tout dans la beauté, dans les hanches, dans les contrôles orientés. Même ses passements de jambes, c’est des passements de jambe à la Zidane, ça va pas très vite, mais pour un défenseur, c’est très compliqué à défendre, le mec est tellement fort, il peut aller à gauche, à droite… C’est complètement imprévisible. Avec mon frère Thorgan, on regardait ses vidéos, et après, on allait dans le jardin, et on essayait de refaire les mêmes choses. Quand il avait fait la volée (en finale de C1 face au Bayer Leverkusen, en 2002, ndlr), on avait essayé de la reproduire. Bon, j’ai vite vu que la volée, c’était pas trop mon truc. Par contre, les dribbles, les passements de jambes, les jonglages, toute la technique, ça, c’était bien mon délire.
C’est quoi qui te plaît exactement, dans le geste du dribble ?
Pour moi, c’est ce qui se rapproche le plus de l’amusement. Il y a des gens qui trouvent ça dans le fait de marquer des buts, ou de faire une belle passe, moi, c’est le dribble. Je voulais entendre les gens au bord du terrain faire des “Oh!!!”. Je sentais quand je faisais vibrer le stade par un geste, un dribble. Je crois que le dénominateur commun à tous les dribbleurs, c’est ça, vouloir régaler le public, que les copains, la famille, les supporters fassent “Wow!!!”. Moi, aujourd’hui, quand des gens viennent me dire qu’ils payaient leur place pour me voir jouer, franchement, ça me fout la chair de poule. Un dribble, ça paraît prétentieux, mais c’est tout le contraire : c’est juste qu’on veut kiffer et faire kiffer, en fait. Tu peux gagner des matchs 5-0 et que ce soit nul, hein. Par exemple, ce que je retiens de la finale de ligue des champions, ben c’est la feinte de Barcola, quand il fait tomber le défenseur, quel dommage qu’il ne marque pas derrière, le but aurait été incroyable ! Pour moi, l’action vaut le 5-0. C’est le seul moment du match où je me suis levé, j’ai fait “iiiich!!!’’ (il pousse un petit cri).
Quel est ton dribble fétiche ?
Le petit pont, classique ! Tu demandes à tous les dribbleurs, ils te diront la même chose. Le petit pont, ça a une saveur particulière, c’est la classe. Dans la rue, quand quelqu’un met un petit pont, tout le