Un gamin des favelas de Rio qui devient la star du Real Madrid. Sur le papier, l’histoire de Vinicius Junior est belle, et raconte le Brésil éternel. Mais voilà, le Carioca serait en fait incompatible avec le joga bonito et une insupportable tête à claques, en plus d’être un Malcolm X de pacotille. C’est en tout cas l’avis de ses nombreux haters. Caralho, pourquoi tant de haine ? Par Javier Prieto Santos, avec Raphaël Bernard, à São Gonçalo.
Premier Clasico de la saison. Le Barça mène déjà 4-0 dans un Santiago Bernabéu déserté par ses socios lorsque Gavi remplace Pedri à la 88 e minute de jeu. L’occasion pour le jeune milieu de terrain de s’essayer au nouveau petit jeu à la mode en Liga : faire dégoupiller Vinicius Junior. Après l’avoir reniflé pendant quelques secondes, l’Andalou lui fait une prise de soumission le long de la ligne de touche pour mieux lui susurrer des saloperies à l’oreille. Le Brésilien s’indigne, s’en prend à l’arbitre, puis monte dans les tours contre tous les Blaugranas qui l’entourent. Un classic shit qui ravit Gavi : il vient de le ferrer. Malgré un carton jaune, dont il se contrefout comme de ses lacets défaits, le trophée Kopa 2022 assure sa postérité sur YouTube en lui brandissant quatre de ses phalanges à la gueule. “Oui, oui, mais moi, lundi, je vais gagner le ballon d’or !”, rétorque le Carioca, sûr de son fait. Perché dans sa tribune présidentielle, le Godfather Florentino Pérez ne peut s’empêcher de grimacer. Et pas seulement à cause de la débâcle des siens. “Au Real Madrid, on a un peu l’habitude de gérer ces affaires, mais là, à deux jours de la cérémonie, on n’avait aucune info, alors forcément, le président était inquiet…”, explique un dirigeant de la Maison Blanche sous couvert d’anonymat.
Le club fait pourtant le choix de ne pas alerter Vini, lui qui a déjà promis d’offrir une Rolex à chacun de ses coéquipiers une fois qu’il aura posé le BO sur une étagère de son salon madrilène. La veille de la cérémonie au théâtre du Châtelet, il organise même une petite sauterie. Un before qui vire au fiasco lorsqu’on lui apprend que le milieu de terrain espagnol Rodri lui a braconné son trophée promis. “On a eu l’information par un intermédiaire français, indique, sans rentrer dans les détails, l’émissaire merengue en charge de porter la mauvaise nouvelle au joueur. On a bien fait d’insister, car sinon on serait allés à Paris pour rien, et ça, il en était hors de question.” Selon le dirigeant, Vini, à l’instar de Florentino, serait passé de “la stupeur à la colère”. Étourdi par le seum, le joueur ne prend même pas la peine d’informer certains membres de son entourage du revirement de situation. Bon nombre de ses potes se sont ainsi rendus en smoking à l’aéroport, sans jamais embarquer pour la Ville Lumière… Tout ça à cause de ce maudit Rodri, donc, qui n’aura eu droit à aucun message de félicitations de la part du grand absent de la cérémonie. Et pour cause, sa seule réaction de la soirée, Vini l’a réservé à X, au moment où le Citizen recevait le “précieux” des mains de Mister George. “J’en ferai dix fois plus si nécessaire. Ils ne sont pas prêts…” Un message inquiétant de la part d’un type déjà accusé d’en faire beaucoup trop.
Les Rolex, les claques et le pigeonnier
Bien que ça fasse hurler ceux qui ne jurent que par elles, les théories de la conspiration sont toujours l’apanage des losers. Elles sont des solutions faciles à des sensations d’injustice. Le complot, le Real Madrid et l’entourage du numéro 7 l’alimentent depuis des semaines. Selon eux, toute cette farce serait de la faute de France Football, des votants namibiens, ougandais ou albanais que “personne ne connaît”, dixit tonton Floren’, du racisme, de l’ethnocentrisme des Européens, et surtout de l’UEFA, qui ferait payer à la Maison Blanche d’avoir été l’instigatrice de cette cochonnerie de Super Ligue. Le Real sait que l’association présidée par Aleksander Ceferin n’a aucun pouvoir décisionnaire sur les votes. Pourtant, c’est bien contre cet organisme que le quinze fois vainqueur de la ligue des champions décide d’orienter son caca boudin le 28 octobre dernier : “Si les critères d’attribution ne désignent pas Vinicius comme vainqueur, ces mêmes critères devraient alors désigner Carvajal comme vainqueur. Comme cela n’a pas été le cas, il est évident que le Ballon d’or de l’UEFA ne respecte pas le Real Madrid. Et le Real Madrid n’est pas là où il n’est pas respecté.” En creux, il faut surtout comprendre que Rodri, vainqueur de la Premier League avec City et du dernier Euro avec la Roja, n’aurait rien à faire au palmarès du BO. Après tout, il n’est pas foutu de faire un passement de jambes, n’a ni réseaux sociaux ni tatouages, sans compter qu’il joue avec le short remonté jusqu’au nombril. Un manque de swag qui ne lève pas Djalminha de sa chaise. “On me dit : ‘Rodri est intelligent’, mais si on récompense un mec pour son sens tactique, alors il faut le donner à Guardiola, analyse l’ancienne otarie de Flamengo et du Super Depor. Cette saison, personne ne s’est vraiment démarqué. Avant, Messi et CR7, 60 buts par saison, c’était évident. Là, Vinicius aurait pu gagner. Est-ce qu’il le méritait ? Oui et non…”
Explication: la saison dernière, l’homme au sourire ultra-bright a tout raflé avec son club. Mais il s’est aussi vautré avec sa Seleção lors de la dernière Copa América. Plus embêtant : sur l’exercice 2023- 2024, ses stats ont été moins bonnes que celles de ce bon vieux Florian Thauvin. Alors, crack ou fraude, Vini ? Pour répondre à cette question qui déchire la planète foot, il faut évidemment commencer par le début, et donc, rembobiner jusqu’à São Gonçalo, une ville située quelque part entre la furie et la foi. Planté sur la baie de Guanabara, à trente kilomètres de la capitale mondiale du carnaval, le berceau du numéro 7 est l’un des grands bastions de l’Église évangélique du pays, en plus d’être celui du crime organisé carioca. Pour se rendre dans cet endroit où les miracles de Dieu ne tiennent parfois qu’à l’épaisseur d’un gilet pare-balles, il faut nécessairement croiser Niteroi, ses gratte-ciel, ses CSP+, et son musée d’art contemporain abrité dans une soucoupe volante designée par Oscar Niemeyer. Au fil des kilomètres, ce Brésil au visage aimable laisse progressivement place à une longue suite d’habitations carrées en briques rouges et en béton nu avec des toits de tôle ondulée. Des favelas. C’est dans ces cours des Miracles qu’a germé le joga bonito de l’essentiel des grandes légendes du foot brésilien. Vini, lui, a grandi dans celle de Portão do Rosa, une comunidade coupée par la BR-101, l’autoroute qui longe le littoral du Rio Grande du Nord à celui du Sud. Ici, les façades sont délavées, les chiens ne portent pas de