En 2001, pour sa première expérience loin du Barça, Pep Guardiola rebondit en Italie, à Brescia. Où l’attendent un entraîneur frappadingue, un contrôle positif à la nandrolone, et aussi Roberto Baggio. Aujourd’hui, il en parle comme de la “meilleure période de sa vie”. Et si c’était vrai?
Il est un mot associé partout dans le monde à des choses terrifiantes, et que l’Italie seule accole à son football: le blitz. De l’autre côté des Alpes, le blitz –éclair, en allemand– définit une opération de transfert dont le but consiste à engager à la surprise générale un joueur annoncé ailleurs. Il peut se produire à chaque mercato, mais déploie surtout son charme l’été, quand les Italiens sont à la plage, les yeux plongés dans leurs quotidiens sportifs, à se demander entre deux baignades à quoi ressemblera la nouvelle saison de Serie A. Comme toute discipline, le blitz a ses personnages légendaires, directeurs sportifs ou présidents aux qualités de persuasion et de manipulation sans pareilles, dont on évoque les exploits comme on se rappelle un but d’anthologie: Adriano Galliani de l’AC Milan, Luciano Moggi de la Juventus, Corrado Ferlaino du Napoli. Pour ces professionnels-là, le blitz a une odeur: celle des halls d’hôtel d’où l’on sort par des portes dérobées, des pneus d’avions privés qui crissent de freiner trop brutalement, des cendriers qui se remplissent jusqu’aux premières lueurs du jour, des attachés-cases sans âge qui s’ouvrent au moment où on ne s’y attend plus, dévoilant in extremis le contrat à parapher. Enfin, le blitz se reconnaît à ce qu’il comporte en général une infraction à la légalité, et celui par lequel commence cette histoire ne fait pas exception.
Dans un aéroport du nord de l’Italie, Luigi Corioni enchaîne les clopes sous un panneau “Interdit de fumer”. Le président du Brescia Calcio est accompagné de son directeur sportif, Gianluca Nani. Le mercato se termine dans quelques jours, et les deux hommes attendent leur avion pour Barcelone. Leurs agendas ne le mentionnent pas, s’ils le disaient tout haut personne ne les croirait, et pourtant les attend en Catalogne Josep Maria Orobitg, l’agent du capitaine du FC Barcelone, Josep Guardiola. C’est le mois de septembre 2001. Voilà le contexte: après onze ans et 384 matchs –toute une vie–, Pep veut changer d’air pour la première fois de sa carrière. On dit que l’Angleterre s’est renseignée. On dit que la Juventus a avancé ses pions. Mais à quelques jours de la clôture du mercato, Guardiola, n’a encore signé nulle part. Tout cela est parvenu jusqu’aux oreilles de Mauro Pederzoli, le manager de Brescia, pas parce qu’il a un réseau de dingue, mais parce que sa femme est espagnole, et qu’il passe la moitié de son temps en Catalogne. C’est lui qui a soufflé au président Corioni: et pourquoi pas Guardiola ? L’affaire n’a rien d’évident. Brescia est un club de seconde zone qui n’a jamais rien gagné, qui n’attend rien, et qui n’espère guère plus. Corioni, cependant, a deux atouts dans sa manche. Le premier est le même que celui de la Juventus: la Serie A est alors le plus grand championnat du monde, ce que Guardiola sait très bien, lui qui a pris quelques années plus tôt 4-0 en finale de coupe des champions par l’AC Milan alors qu’il pensait son FC Barcelone invincible. Le second est sans équivalence dans le monde : à Brescia joue depuis un an Roberto Baggio, le numéro 10 avec qui rêvent d’évoluer tous les footballeurs. À cela, Guardiola est encore moins insensible. Au terme de l’entretien entre son agent, Luigi Corioni et Gianluca Nani, le capitaine du Barça entre dans la pièce et tend la main: va pour Brescia.
Le 26 septembre 2001, c’est vêtu d’une chemise d’un genre hawaïen et d’un jean pattes d’eph' que l’Espagnol débarque à Brescia. Étonnement et railleries de ses nouveaux coéquipiers. Certes, la ville n’est pas l’épicentre du cool, mais elle se trouve tout de même en Lombardie, à moins de cent kilomètres de Milan: personne ne s’y habille comme ça depuis des années. Un signe annonciateur de ce qui suit: plus la journée avance, plus la situation échappe à Guardiola. Brescia évolue peut-être dans le plus grand championnat du monde, mais le quartier général du club est un hôtel qui tient davantage des rendez-vous inavouables d’entre midi et deux que du club-house. Quant au centre d’entraînement, il se compose en tout et pour tout de deux terrains de foot collés à l’établissement. Ce décor modeste est le