Peut-on être Belge, se faire sortir dès les huitièmes de finale en encaissant trois buts et être malgré tout élu meilleur gardien de la coupe du monde ? Oui, répond Michel Preud’homme, à jamais le premier à avoir soulevé le trophée Lev Yachine cet été 1994. Pas mal, pour un mec qui voulait devenir vétérinaire… Par Nicolas Taiana
Votre maman a dit que vous auriez pu mener une carrière de vétérinaire plutôt que de footballeur. C’est vrai cette histoire ? C’était l’idée, oui. Quand j’étais jeune, j’allais souvent à la ferme voisine et j’avais été impressionné par le vétérinaire qui venait soigner les vaches, surtout le gros bétail. À cette époque, le médecin, l’institutrice, c’étaient des gens importants. Et pour moi, ce vétérinaire-là, il était un synonyme de réussite dans la vie. Je voulais jouer au foot mais j’avais les pieds sur terre, je savais que ce n’était pas évident d’y arriver. C’est pour ça que j’ai fait du “latinsciences” au lycée, avec l’idée, plus tard, de faire la médecine vétérinaire. Le latin, pour les termes médicaux, c’était fort important.
Vous avez donc grandi dans une ferme ? C’était celle des voisins. On habitait à Plainevaux, dans le hameau de Strivay, tout près de ce qu’on appelle d’ailleurs Houte-Si-Plou (l’équivalent du Pétaouchnok en France, ndlr). Le nom vient du fait que le meunier disait à son épouse, le matin, en wallon liégeois : “Écoute s’il pleut !” Parce que s’il pleuvait, le moulin tournait bien et il pouvait moudre. La passion pour les animaux me vient de là. J’ai travaillé très tôt à la ferme de mes voisins. On me mettait à 10 ans sur le tracteur pour conduire tout droit, pendant que les adultes chargeaient les ballots. Bon, ça m’a plu, j’y allais même les week-ends quand je ne jouais pas au foot, ou pendant mes vacances. À force, je savais tout faire avec les tracteurs, avec le bétail… J’étais d’ailleurs aux champs quand on m’a appelé la première fois pour aller m’entraîner avec l’équipe première du Standard. C’est le fermier qui a répondu au téléphone. Je suis allé me changer, me laver et je suis parti à l’entraînement.
Vous aviez aussi appelé votre chat Kempes. C’est le premier chat que j’ai eu. Cette équipe d’Argentine championne du monde 78, c’était quelque chose pour moi. J’avais 19 ans, je regardais les matchs à la télé, et j’avais adoré ce joueur, son élégance, ses longs cheveux… D’ailleurs, c’est à cause de lui que j’ai porté les cheveux longs, et les Suédois aussi, notamment Ralf Edström, qui est ensuite devenu mon coéquipier au Standard. Bon, à l’époque, c’était la mode, quasiment tout le monde avait les cheveux longs. Les pattes d’éléphant, aussi… Un jour ça reviendra, parce que la vie est un éternel recommencement.
Les buteurs parlent souvent d’instinct. Vous, vous préfériez évoquer un “état de transe” une fois sur le terrain. Ça ressemble à quoi ?C’est un état qui, au cours de ma carrière, m’envahissait par moments. Je sentais que je pouvais lire les choses avant qu’elles n’arrivent. C’est une forme de concentration