Le 20 octobre dernier, Michel Der Zakarian n’a pas résisté à la manita infligée par l’OM à son Montpellier, lanterne rouge de Ligue 1. Quelques jours avant de se faire lourder, l’ancien défenseur du Nantes de Coco Suaudeau, réfractaire aux journalistes, avait enfin accepté de s’ouvrir un peu. Beaucoup même. Rencontre savoureuse avec le Jean-Pierre Bacri du foot français. Par Chérif Ghemmour et Vincent Riou, à Montpellier
Notre première demande d’interview remonte à quand vous étiez à Nantes, en 2007, en Ligue 2. Puis chaque année, dans chaque club, on relançait. Pourquoi êtes-vous si rare dans les médias ? Parce que je vous dis franchement, moi, les journalistes, ils me gonflent, à poser les mêmes questions, me faire répéter les mêmes trucs. Ils sont toujours en train de chercher la merde, à critiquer, vouloir faire du buzz. Je sais même pas si ça leur plaît, le foot. La plupart ne sont pas compétents, et ils viennent m’apprendre mon métier. Peut-être qu’ils sont frustrés, qu’ils pensent qu’ils devraient être à ma place. Dans le feu de l’action, il est déjà arrivé que je m’accroche avec des joueurs. Dans ces moments-là, les journalistes trouvent encore le moyen d’en rajouter, en inventant des conneries, comme cette histoire de balayette que Sakho m’aurait mise (après un entraînement, le 24 octobre 2023, ndlr).
Que s’est-il passé avec lui ce jour-là ? Déjà au départ, il était énervé parce qu’il n’avait pas joué la veille (Montpellier avait perdu contre Nantes). Lors de la séance d’entraînement, il est frustré parce qu’il y aurait eu deux fautes sur lui qu’on n’aurait pas sifflé. Ça arrive… Et d’un coup, on le voit partir et quitter le terrain. “Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu as mal quelque part ?” Il ne répond pas et rentre au vestiaire. Quand je le rejoins, il se plaint que je ne le respecte pas, etc. “Qu’est-ce que tu racontes? Bon, prends ta douche.” Je vais voir le kiné, à côté, et je l’entends qui rumine, qui crie fort. Je lui dis : “Maintenant, tu la fermes. Tu rentres chez toi et on se revoit demain.” Et là, il est arrivé et s’est mis tête contre tête avec moi. Je le pousse, mais il m’a pris par le colback. Il m’a serré fort au cou, et c’est un costaud, lui, oh, il m’étouffait ! Après, les joueurs sont arrivés pour nous séparer, et quand il a fini par lâcher prise, je suis tombé en arrière. Ça s’est arrêté là. Donc cette histoire de balayette, il a raison, c’est faux. J’ai appris que lui, depuis, il ressasse cette histoire sans arrêt. Les gars, ils passent leur temps à balancer leur vie sur les réseaux sociaux… Bah moi, je suis pas dessus, je m’en fous. Il fait ce qu’il veut.
Il y aurait eu des périodes plus glorieuses pour accepter nos demandes d’interview. Cela faisait longtemps que vous n’aviez pas eu à coacher une équipe aussi mal barrée… On est avant-derniers ! (L’entretien a eu lieu le mardi précédant la défaite à domicile 5-0 contre l’OM fatale à Michel, démis de ses fonctions dans la foulée par Laurent Nicollin) On a pris 21 buts en sept matchs. Tu peux pas gagner un match quand tu en prends trois en moyenne, même si tu es le Real Madrid. Après, il y a beaucoup de circonstances: on avait perdu des joueurs importants, et le problème des droits télé a fait que le budget a baissé et qu’il n’y a pas eu de recrutement cette année pour les remplacer. On a pris deux joueurs libres, Rabby Nzingoula, prêté par Strasbourg, et Birama Touré, de très petits salaires, vraiment –même si, pour des gens lambda, c’est beaucoup. Et puis on a beaucoup de blessés. Al-Tamari nous manque, devant. Derrière, Christopher Jullien s’est pété les croisés. Kouyaté a mal au genou depuis le début de saison. Le petit Dzodic, milieu de terrain de formation, on est obligés de le mettre arrière parce qu’on n’a personne d’autre. Ce n’est pas leur rendre service à ces gamins, de les balancer comme ça en Ligue 1 alors qu’ils ne sont pas encore prêts…
C’est l’ancien formateur qui parle, là ? Oui. Je me suis régalé pendant les neuf ans ici, au centre, après ma carrière (de 1997 à 2006). Gamin, quand je jouais à Mazargues, un petit club de Marseille, il y avait un éducateur que je considère un peu comme mon mentor. Il s’appelait Pierre Michelangeli, et pour moi, c’était Guardiola quoi !
Mazargues, c’était un sacré club formateur. Ah oui… Ils avaient formé Hervé Florès, qui a joué à Marseille. Un très bon joueur. Mais aussi Michel N’Gom, Laurent Roussey, ou plus tard Michel Pavon… Pas mal, pour un petit club de quartier. J’ai mon grand frère qui y est passé aussi et qui après est parti à Nice au centre de formation. Il n’a pas réussi à passer pro, et il est décédé malheureusement à 26 ans. Cancer des os. Mais bref, les idées sur le foot que Monsieur Michelangeli essayait de nous enseigner, ce sont celles que j’ai encore maintenant, et que m’a inculquées aussi Coco Suaudeau. Très tôt dans ma carrière, je savais que j’allais faire ma reconversion dans le foot, et transmettre.
Les coachs français n’ont pas vraiment la cote, on dit d’eux qu’ils sont frileux, défensifs, sans idées… C’est faux, il y a plein de bons coachs en France. Le problème, c’est que vous avez des présidents qui acceptent des coachs étrangers qui arrivent avec leur staff pléthorique, comme De Zerbi qui vient avec ses sept assistants… Mais nous, les Français, c’est non. Aujourd’hui, moins de deux tiers des entraîneurs en Ligue 1 sont français. Si ça continue comme ça, il y en aura de moins en moins, avec le rachat des clubs par des fonds de pension qui ne jurent que par les étrangers. Les Français iront bosser en Ligue 2. Bon, moi, j’arrive à la retraite. J’ai déjà reçu tous mes papiers, j’ai commencé à cotiser à 15 ans et demi !
On a compté: vous en êtes à 47 ans de cotisation, avec, en tout et pour tout, moins de treize mois de chômage. Dans un métier aussi précaire, c’est rarissime. Quand je me fais virer de Brest après dix journées, à peine quatre mois après, Montpellier me rappelle, en février 2022. L’autre fois où j’ai été sans emploi, ça a duré neuf mois. C’est quand je suis démis à Nantes, fin août 2008, au bout de trois matchs en Ligue 1. J’avais pas d’agent, donc j’ai fait comme tout le monde : j’ai envoyé des candidatures spontanées à tous les clubs de Ligue 1 et Ligue 2, avec CV et lettres de motivation. Il