Comme des milliers de dribbleurs pur jus formés sur le béton des cités françaises, Anis Hadj Moussa aurait pu se perdre en route, égaré par les pièges du quartier, le goût du foot français pour les athlètes ou le formatage des centres de formation. Écarté à Lens, l’international algérien de 23 ans a fini par trouver sa place à Feyenoord, où Arne Slot l’a sorti de l’anonymat et Robin van Persie en a fait son petit chouchou. Entretien avec un jeune homme qui parle comme il joue : sans aucun calcul.
Tu es né à Paris, mais tu prends ta première licence à Pontault-Combault, en Seine-et-Marne. Tu as grandi où, alors ? En fait, avant Pontault-Combault, j’ai aussi joué un petit peu au Paris FC. On a déménagé dans le 77 quand j’avais huit ou neuf ans, mais avant cela, on vivait dans le XXe arrondissement à Paris. Ma mère était femme au foyer, mon père agent de maîtrise. On allait jouer au parc du coin avec lui et ma grande sœur. On prenait un ballon, on faisait des buts avec nos vestes, et on jouait. C’est là que tout a commencé.
C’est là que tu as effectué ton premier dribble ?
Celui dont je me rappelle vraiment, c’était en Algérie. J’avais neuf ans, on était à Alger, dans la famille de ma mère, et il y avait un tournoi de quartier, donc on est descendus avec mon père. Lui avait joué là-bas jusqu’à ses 24 ans, âge où il a dû arrêter suite à un accident de moto. Ses potes m’ont raconté qu’on l’appelait “la gazelle”, parce qu’il prenait la balle et courait partout. Comme il m’avait appris la virgule, j’en ai tenté une sur ce tournoi, et c’est passé. J’étais plutôt un enfant timide, mais là, j’ai fait ma virgule, j’ai laissé la balle, puis j’ai couru partout sur le terrain en criant comme un fou. Comme si je venais d’offrir la ligue des champions à mon équipe.
Qu’est-ce que la virgule a de si particulier dans le répertoire des dribbles ?
C’était un geste difficile pour moi à l’époque, donc là, le réussir au milieu des grands, c’était fou pour moi. Surtout que mon père était là. C’est lui qui avait passé des heures à me l’apprendre, et qui toute ma vie m’a dit d’essayer de dribbler, de prendre du plaisir, de m’amuser en jouant. Je me souviens qu’il me montrait des vidéos de Ribéry, qu’il kiffait parce qu’il supporte l’OM… Le dribble, il aime trop ça mon père. Encore aujourd’hui, même s’il n’a plus les jambes, je le vois tenter des trucs improbables à la maison.
Pourquoi le dribble est si important chez les Maghrébins ?
Je crois que c’est en nous. On aime bien croquer la balle, faire plaisir aux gens. En fait, on ne veut pas juste jouer au foot, on veut s’amuser. Le foot pro est devenu très tactique, il y a moins de place pour les purs dribbleurs. Moi, j’ai mûri dans mon jeu, mais je ne veux pas perdre ce rapport quasi culturel au ballon, alors j’essaye de continuer à dribbler tout en apportant quelque chose à l’équipe. Parce que si tu retournes quatre, cinq ans en arrière, je faisais n’importe quoi sur le terrain ! Je dribblais de partout, je tentais des arc-en-ciel… Juste pour mon plaisir personnel hein, pas pour aider l’équipe (rires).
On t’a laissé faire ça jusqu’à quand ?
Lens, au centre de formation. En U17, je faisais plus au moins ce que je voulais, mais en U19 ça a commencé à ne plus passer. On m’a dit : “Arrête de dribbler ici”, “joue à deux touches”. On m’a mis de plus en plus de règles, même en match ! C’était tant de touches de balle en zone défensive, tant de touches en zone offensive… J’écoutais, je ne disais rien, puis je rentrais chez moi et je pensais : “Mais qu’est-ce qu’il me raconte lui ? Il croit que je vais changer mon foot pour lui ?” Évidemment, le coach avait raison. Quand j’y repense aujourd’hui, c’est marrant, mais à l’époque ça ne l’était pas. Ça m’a coûté quelques années de galère.
Avant d’arriver à Lens à 16 ans, tu joues en région parisienne, à Torcy, puis à Montfermeil. Comment tu peaufines tes dribbles pendant ces années-là ?
Le dribble, c’est soit tu l’as, soit tu ne l’as pas. Tu peux perfectionner tes gestes, mais je ne crois pas que l’on puisse vraiment apprendre à dribbler. C’est pas comme le physique, ou le cardio, des choses que tu peux travailler pour arriver à un certain niveau, alors que si tu prends un joueur pas très technique, même avec des années de travail, il n’arrivera pas à devenir un vrai technicien. Pour moi, le dribble, c’est inné, comme chez Hatem Ben Arfa, un dribbleur fou ! Après, oui, petit je regardais des vidéos, et j’essayais de reproduire certaines choses au city, dans des matchs avec mes potes, dans des fives. Dans mon quartier à Émerainville, qu’on surnomme “le Bronx”, il y avait un top joueur. Il s’appelait Amedi. Un mec tellement fort que les représentants de Newcastle étaient venus toquer à sa porte.