L'utopie Omonia

Écrit par S.Foot, le 13 mai 2025 à 10:00.

L'utopie Omonia

En 2018, ulcérés par le rachat de leur club, l’Athletic Club Omonia de Nicosie, historiquement lié au Parti communiste local, les ultras de l’équipe la plus populaire de Chypre faisaient dissidence et créaient l’Omonia 29 Mai, un club autogéré. Sept ans plus tard, les deux frères ennemis se retrouvaient en première division, pour le derby le plus fratricide de la Cyprus League. Une certaine histoire de la gauche, tiraillée entre fidélité aux idéaux et quête de pouvoir.

Un peu à l’écart de ses collègues sous sa parka noire, Erato prend sa double dose de nicotine et de caféine pour tenter de calmer sa nervosité. Dans quelques heures, l’Omonia 29 Maiou, l’équipe dont cette femme de 36 ans à l’épaisse tignasse rousse est à la fois la kiné et l’une des cofondatrices, jouera le match qu’elle attendait depuis des années. Solide lanterne rouge de Cyprus League, le club n’envisage plus vraiment de se maintenir. En ce soir d’ouverture de la 22e journée du championnat chypriote, seul l’honneur est en jeu. “On a la pression, et peur de se prendre une rouste… Ils ont une sacrée équipe comparée à la nôtre”, souffle Erato depuis la terrasse ensoleillée du café Kawacom d’Éngomi, quartier périphérique de Nicosie Ouest, où les immeubles poussent comme des verrues entre les terrains vagues et la ligne de démarcation qui sépare la République de Chypre de la partie nord, occupée par la Turquie depuis 51 ans. “Ils”, c’est l’Omonia FC LTD de Stevan Jovetic. Un mastodonte du football local avec ses 21 titres de champion. Mais pas que : Vasilissa (“la Reine”) est le club que les ultras de la Gate 9, dont Erato faisait partie, ont quitté avec fracas à l’été 2018 pour créer leur propre club, l’Omonia 29 Maiou, donc. “C’était la seule solution pour ne pas trahir nos idéaux et continuer l’histoire écrite par nos parents, grands-parents et arrière-grands-parents”, lance fièrement la jeune femme en éteignant sa cigarette.

Guerre civile et doctrine communiste

Comme Manchester et le FC United, fondé en 2005 par les anti- Glazer, le football chypriote a donc expérimenté l’utopie du club détenu par ses propres fans. Sauf qu’eux ont réussi à grimper tous les échelons conduisant à la première division. Pour les milliers d’ultras de la Gate 9, la scission se produit le 29 mai 2018, jour de l’annonce de la vente de l’Athletic Club Omonia (l’Athletic Club de la Concorde, en VF) à l’homme d’affaires cyprio-américain Stavros Papastavrou. Avec ce rachat, le club le plus populaire du pays, historiquement affilié à AKEL –le parti communiste local–, abandonnait 70 ans de fonctionnement associatif pour devenir une société capitalistique nommée FC Omonia LTD. Une trahison insupportable pour ses ultras, qui officialisent dans la foulée le divorce et la création du nouveau club avec ce qui deviendra leur slogan: “Nous ne commençons pas, nous continuons.” Une manière de dire que l’histoire se répète pour ce club de Nicosie, né le 17 juin 1948… d’une scission. À l’époque, l’île de Chypre subit le contrecoup de la guerre civile grecque entre nationalistes et partisans du parti communiste, qui fera 200 000 morts. “Cette année-là, les autorités grecques ont exigé de la fédération chypriote qu’elle bannisse les communistes de ses compétitions sportives, en faisant signer à chaque licencié une déclaration condamnant cette doctrine”, explique Christos Kamisseris, chercheur en géopolitique du sport à l’Université européenne de Chypre. Résultat: tous les partisans de la faucille et du marteau claquent la porte de leurs clubs respectifs et fondent leur propre ligue de football. “Ceux qui jouaient pour l’APOEL Nicosie, le principal club du pays, ont alors fondé l’Athletic Club Omonia, qui noue rapidement des liens étroits avec AKEL, unique force politique de gauche sur l’île, poursuit le chercheur. Plus tard, quand

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