Après 18 saisons en Europe, Ángel Di María est rentré cet été chez lui, à Rosario Central, où il avait toujours promis de terminer sa carrière. Malgré les menaces de mort, les caisses vides et la faiblesse du championnat local. Récit d'un miracle argentin.
SAMEDI 26 JUILLET 2025, ROSARIO, province de Santa Fe, 16 h 15. Le jour qui dévale et le brouillard qui assiège la ville. Sous un ciel de traîne qui évoque la fureur de Jérôme Bosch, le fleuve Parana, majestueux en diable, menace de tomber de son lit à quelques encablures du stade. La pluie et le froid antarctique n'empêchent pas le Gigante de Arroyito, l'arène de Rosario Central, de ressembler à un essaim frénétique où tous les supporters des Canallas (Canailles) slaloment pour trouver leur place. Sur les trottoirs, entre les poteaux électriques repeints en jaune et bleu, des fans improvisent des grils qu'ils étanchent à coups de Fernet-Coca ou de bière tandis que des barras bravas extorquent 3000 pesos argentins (2 euros) à qui veut garer sa voiture alentour en échange d'un marquage très leste. Jusque-là, un décor comme on en trouve chaque weekend dans toutes les grandes villes argentines, où le football et ses acteurs prennent toute la place, à Rosario plus qu'ailleurs encore. Pendant que Leo Messi flâne sous le soleil floridien avec ses amis préretraités barcelonais, Ángel Di María, l'autre héros majuscule de la cité rosarina, s'apprête à disputer son deuxième match à domicile depuis son retour à la maison. L'intérieur de l'enceinte ressemble à un Beaubourg poussiéreux avec ses énormes tuyaux bicolores sous les gradins verticaux et où, au hasard des couloirs, des graffitis éternels '1as Malvinas son argentinas" ("les Malouines sont argentines") côtoient le vestiaire des joueurs de Central en partance pour l'échauffement, Di María en tête. Perdu dans ses pensées, "Fideo" joue déjà avec un ballon, étanche à la pression, interdit à l'amour immodéré d'un stade, d'une ville, d'un pays -"Dans ces moments-là,je suis très mal à l'aise ;je veux rentrer sur le terrain et rien d'autre", dira-t-il au quotidien La Nacion, dix jours plus tard. Dehors, la pluie redouble. À ciel ouvert, le Gigante n'abrite qu'un toit minuscule qui héberge les médias et les loges. Dans la tribune de presse, ça clope, ça boit du maté, ça braille au micro. Dans les virages, les pétards et les fumigènes claquent et un tifo promet : "La mas vibrante de la Argentina". Le fils prodige est de retour et la hinchada de Rosario Central se pâme. "Le gars a visité le monde pour se bâtir une vie inespérée, gagner de l'argent et fréquenter les meilleurs clubs d'Europe, avise dans les travées de Arroyito Sandro, 39 ans, DJ, une casquette à la gloire de Central et de Juan Domingo Peron sur la tête. Avec la sélection, il a souvent été blessé, a perdu des finales puis en a gagné, et il revient, comme si de rien n'était, dans sa ville, son club, sa rue. C'est un rêve d'Argentin." Sur le terrain, contre San Martin de San Juan, Di Marfa frappe tous les coups de pied arrêtés, renoue avec la poésie des défenseurs locaux et tire déjà la langue avant la mi-temps. Quinze jours de vacances depuis 2023, ça finit par se voir, a fortiori quand on aligne une seconde saison d'affilée sans moufter, mais le héros a trop attendu ce retour chez lui pour en perdre une seule minute.
"Je veux jouer et vivre"
Dix-huit ans après son départ, Fideo a le mérite de la constance. En 2007, il affirmait vouloir "revenir un jour et gagner quelque-chose avec Central". Comme tant d'autres, il aurait pu tapiner pour des wagons de pétro-ryals dans le championnat saoudien ou cotiser dans la pension floridienne de l'Inter Miami où les Argentins affluent, mais il s'en est tenu à son plan initial: revenir à ses premières amours. Pour le célébrer, le club auriazul a mis les petits plats dans les grands en publiant d'abord un message sur ses médias sociaux ("Notre histoire commune a encore des pages à écrire"), puis en produisant, lors de sa venue de Lisbonne le 29 mai dernier pour signer le contrat, une vidéo avec en bande-son Rosario siempre estuvo cerca ("Rosario n'était jamais loin"), un morceau de Fito Paez, une légende du rock argentin native de la ville et fan de Rosario Central Le clip débute par un plan en contre-plongée d'une femme poussant un jeune garçon à vélo dans un quartier de la ville. Elle emmène son fils à l'entraînement, à l'autre bout de la ville. "Un vélo peut être bien des choses. Un jeu, une aventure, un moyen de transport. Pour moi, c'était une promesse d'amour, d'effort, de sacrifice. Je n'aurais jamais imaginé qu'avec ce vélo, j'irais aussi loin", promet alors la voix de l'ancien joueur du PSG et du