Coupe du monde, Super League, Ligue des champions : ce que veulent les fans

Écrit par C.Opposée, le 7 janvier 2022 à 06:31. Mis à jour le 8 mars 2022 à 17:19.

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Quel football les fans veulent-ils et comment peuvent-ils l'obtenir ?

« Les fans ne peuvent pas être tenus pour acquis, et nous devons leur offrir la meilleure compétition possible, sinon nous risquons de les perdre. (…) Nous devons placer les supporters au centre. Le système actuel n'est pas fait pour les supporters modernes. » (Andrea Agnelli, mars 2021)

« Nous allons aider le football à tous les niveaux pour lamener à occuper la place quil mérite. Le football est le seul sport global et le seul à compter 4 milliards de fans et notre responsabilité, en tant que grands clubs, est de satisfaire les attentes des supporters » (Florentino Perez, avril 2021)

« Nous pouvons continuer comme actuellement mais les clubs cesseront leurs activités. Et à qui cela fait le plus mal ? Leurs fans. » (Aleksandr Ceferin, avril 2021)

« Plus de matches à élimination directe, moins de matches de qualification. C'est ce que veulent les fans. » (Arsène Wenger, juillet 2021)

Super Ligue, nouvelle Ligue des champions, Coupe du monde tous les deux ans… À chaque nouvelle proposition, c’est le même refrain : « C’est ce que demandent les fans ». Pourtant, chacun constate autour de lui ou sur les réseaux sociaux que beaucoup sont fortement opposés à ces idées. Et personne n’a jamais l’impression d’avoir été consulté. Alors, quel football les amoureux de ce sport veulent-ils vraiment et comment peuvent-ils influer sur les décisions des dirigeants ?

Il suffit de leur demander

Les quelques citations précédentes provoquent généralement l’une de ces deux réactions chez ceux qui ne partagent pas le besoin de changement dont parlent Agnelli, Perez, Ceferin ou Wenger :

- C’est faux, ces gens racontent n’importent quoi pour justifier leurs idées

- Ces fans dont ils nous parlent doivent être chinois, américains, footix, adolescents… bref, différents et moins importants que “nous”

Les enquêtes sur leurs préférences existent. Ces derniers mois, plusieurs ont été publiées par la FIFA, l’ECA (association des clubs européens), par des instituts indépendants, des associations de supporters ou des médias. Le problème est qu’aucune ne permet de trancher. Pourquoi ? Faisons un pas en arrière : qu’est-ce qu’un fan, ou plutôt de quels fans doit-on tenir compte dans ces études ?

Tout le monde aura une réponse différente à la question et placera son curseur quelque part sur cette échelle. Une bonne enquête devrait permettre de jouer avec les paramètres principaux (âge, nationalité, niveau d’intérêt pour le foot) pour connaître les préférences des fans selon plusieurs critères et alimenter un débat éclairé. Chacun pourrait ensuite dire « je pense que ces avis doivent peser plus lourd dans la balance, et donc que tel changement doit être accepté/rejeté ».

Mais ces sondages ne permettent pas vraiment de jouer à ce jeu : soit ils ne prennent en compte qu’un petit groupe trop peu représentatif d’une catégorie (les auditeurs de l’After Foot, les lecteurs de L'Équipe, les Européens inscrits dans une association de supporters), soit ils s’arrêtent à un nombre limité de pays et notent quelques différences sans chercher à extrapoler aux pays ou régions laissés hors champ. Récemment critiquée sur ce point, la FIFA a déclaré vouloir y remédier dans sa prochaine enquête (voir note en bas de page).

Tout ça ne veut pas dire que ces sondages n’ont aucun intérêt. Au-delà de quelques évidences, ils apportent des réponses utiles :

Les “nations de foot” de l’Europe de l’Ouest ne sont pas un groupe homogène

- L’Angleterre (77%) et l’Allemagne (76%) sont de loin les pays dont les fans sont les plus opposés au projet Super Ligue, alors qu’ils sont beaucoup plus indécis en Italie (48%) et en Espagne (43%)

- Un autre sondage commandé par les clubs fondateurs de la SL deux mois avant son lancement donnait des résultats absolus très différents (probablement car il fournissait peu de détails sur le projet) mais disait déjà que la France, l’Italie et l’Espagne étaient les pays les plus favorables

- La même tendance se dégage du sondage sur la fréquence des Coupes du monde, avec les Anglais (80%) et les Allemands (64%) nettement plus opposés à un changement que les Espagnols (51%)

Les fans hors d’Europe se distinguent des Européens de plusieurs façons

- Moins concernés par l’ancrage local des clubs, les non-Européens suivent souvent plusieurs équipes et en changent plus facilement en fonction de leurs joueurs préférés (rapport ECA et rapport Statista)

- Les Chinois et les Américains consomment plus de produits merchandising, ont moins tendance à penser que les joueurs sont trop payés et sont aussi moins inquiets de la tenue de la prochaine Coupe du monde au Qatar (rapport Statista)

- Les stéréotypes ne fonctionnent pas toujours : il y a par exemple beaucoup plus de fans de foot en proportion en Inde (41%) qu’en Allemagne (26%) et les Japonais sont plus attachés au Mondial tous les quatre ans que la plupart des Européens

Les jeunes générations suivent une tendance similaire

- Les jeunes sont plus nombreux à se dire fans d’un joueur que d’un club en particulier (page 16) et sont, dans tous les pays sondés, ceux qui sont les plus favorables à une Coupe du monde plus fréquente (FIFA), à plus de matches de Ligue des champions (CIES) ou au projet Super Ligue

- Les jeunes ne semblent pas se désintéresser du foot : il y a bien un creux entre 16 et 24 ans (60% suivent le sport) mais les 8-15 ans (84%) sont au contraire les plus intéressés (page 9)

- Enfin, une majorité des fans pense que les compétitions de clubs ne sont pas assez équilibrées et qu’il n’y a pas assez de joueurs locaux dans les clubs, et ce dans les mêmes proportions chez les +/- 40 ans et chez les suiveurs européens ou non-européens interrogés par le CIES (un point que nous voulons creuser)

Il suffit de les observer

Le football est un business, et les fans en sont les consommateurs. Soyons clairs : cette vision du foot est discutable. Ceux qui y adhèrent pleinement considèrent que maximiser l'intérêt de cette population pour le foot ou pour certaines compétitions, c’est maximiser les revenus que ces dernières génèrent.

La méthode a le mérite de poser les termes de manière simple : pour savoir ce que veulent les fans, il suffit de regarder ce qu’ils consomment. Et pour mesurer le succès d’un changement, il suffit de regarder l’effet qu’il a eu sur les revenus. Ceux de la Ligue des champions ayant augmenté plus vite que ceux des autres compétitions majeures ces 20 dernières années (à l’exception de la Premier League), on peut en déduire que les évolutions du format correspondaient à ce que les fans attendaient.

Cette approche est celle du foot business promu par les actionnaires et dirigeants de certains clubs, et par ricochet par les organisations sous leur influence. Elle traite la question des fans sous le prisme du marketing. Et le marketing va plus loin que les sondages. Les droits sont vendus dans tous les pays, les chiffres d’audiences et d’abonnements ne sont pas des préférences estimées ou déclarées mais de vrais actes de consommation. Les plus libéraux diront que c’est la seule chose qui compte.

La bonne nouvelle est que, contrairement à ce qu’on lit souvent (comme ici, voir dernière phrase), la volonté des fans est vraiment prise en compte dans l’approche commerciale puisque leurs données de consommation sont en permanence disséquées par ceux qui vendent et achètent les droits. Pour faire de l’argent, les ayant-droits, diffuseurs et sponsors doivent plaire aux amoureux de ce sport. Et pour en recruter de nouveaux dans un contexte où l’offre de divertissement n’a jamais été aussi vaste, le gratuit joue et jouera toujours un rôle, ce qui explique que les résumés des matches soient devenus beaucoup plus faciles à trouver “légalement”.

Alors, quel est le problème ? Cette approche traite certains fans historiques de manière injuste. Ici, on accorde forcément une importance supérieure à celui prêt à dépenser plus qu’un autre, et à un pays plus grand ou plus riche que ses voisins. Les objectifs de croissance poussent aussi à chercher à séduire en priorité les plus jeunes ou les marchés où le foot se développe le plus vite, comme la Chine ou les États-Unis. Le fan traditionnel d’Europe est au contraire parfois “esclave” de sa passion : il consommera presque toujours ce qu’on lui donnera, ce qui encourage à ignorer son avis. La FIFA sait par exemple qu’un grand nombre de ceux opposés à une Coupe du monde tous les deux ans la regarderaient quand même si elle avait lieu à cette fréquence. 

La réalité économique fait que l’Europe conserve heureusement jusqu’ici un poids très fort dans ce modèle. Autrement dit les fans européens restent de loin les principaux à séduire malgré l’émergence de nouveaux marchés : la Premier League, championnat le plus “internationalisé”, génère toujours plus de 70% de ses revenus TV en Europe pour le cycle 2019-22. Ceux qui sont les plus attachés au football et ont le plus contribué aux succès de clubs historiques ne se retrouvent pas exactement au second plan, mais ils voient de plus en plus de simples fans “potentiels” être traités comme des enfants gâtés.

Il faut les informer

Si la réalité commerciale que l’on vient de décrire donne peu d’occasions aux supporters d’influer directement sur les règles et les formats des compétitions, l’exemple récent de la Super Ligue a rappelé qu’ils conservent un (faible) pouvoir. Les réactions immédiates et la détermination affichée par les fans des six clubs anglais engagés en tant que membres permanents (Manchester United, Manchester City, Liverpool, Chelsea, Tottenham et Arsenal) ont entraîné leur retrait en moins de 48h et l’effondrement du projet. 

Même si la Super Ligue aurait pu fonctionner commercialement sur le long-terme, les locaux sont parvenus à faire assez de bruit pour mettre en danger l’image de ces clubs auprès des autres fans réels et potentiels : personne n’a envie de supporter une équipe qui joue dans un stade vide ou rempli de manifestants en colère. Cet épisode a donc montré qu’il existe une limite à ne pas franchir dans la poursuite d’une logique purement commerciale et que le public peut s’unir contre des dirigeants dans certaines conditions.

Mais ces fans n’ont pas été les seuls à réagir : plusieurs chefs d’Etat ont pris position contre le projet. L’UEFA vient d’ailleurs d’annoncer qu’elle a reçu le soutien de plus de la moitié des gouvernements des pays membres de l’UE dans la bataille juridique à venir contre la Super Ligue et ses trois clubs fondateurs. Ces gouvernements élus démocratiquement estiment qu’ils doivent intervenir pour défendre les fans, jugeant qu’un nombre important de leurs citoyens seraient favorables à cette intervention. Ici aussi donc, ce sont indirectement les fans qui s’expriment.

De la même manière, des contre-pouvoirs empêchent ou ont empêché plusieurs changements “commerciaux” malgré une pression constante de certains acteurs. Les championnats européens sont restés ouverts avec promotion/relégation et 100% de leurs matches joués sur le territoire national, quatre “petits” champions accèdent à la C1 chaque année alors qu’un cinquième ou un sixième club anglais aurait plus de sens d’un point de vue marketing, les matches de cette même C1 se jouent à une heure où toute l'Asie dort et l'Amérique travaille, etc. Tout ça tient parfois à un heureux hasard et au poids dont ont hérité les fédérations nationales dans la gouvernance du football européen. Ces décisions sont en effet le fruit de luttes politiques : les présidents de fédérations, confédérations ou même de ligues doivent aussi penser à leur (ré)élection, au soutien des associations de supporters et des licenciés amateurs.

Mais si une forme de résistance existe, ces quelques forces pèsent de moins en moins lourd dans la balance. Une organisation comme l’UEFA, qui cède depuis 30 ans aux exigences des clubs les plus riches, subit néanmoins une pression toujours plus forte de leur part. On peut retenir de l’épisode de la Super Ligue que quelques dirigeants ont réussi l’exploit de mobiliser presque tout le monde contre eux à cause d’une communication bien trop mensongère, dans un contexte qui leur était pourtant favorable. Et qui le sera de plus en plus si ces clubs continuent de capter l’attention de jeunes qui se détournent des équipes locales, et que la défiance envers les organisations en charge des compétitions actuelles continue à grandir.

Aujourd’hui, les fans sont écoutés principalement en tant que consommateurs car le foot est le plus souvent dirigé comme un business et abandonné à l’économie de marché. Il glisse donc doucement vers une version toujours plus éloignée d’un modèle européen ouvert et animé par une passion et des rivalités locales. Quelques garde-fous tiennent encore, mais pour combien de temps ?

Caméra Opposée est un collectif de fans de football et professionnels du marketing sportif inquiets de cette évolution. Malgré nos efforts pour trouver au quotidien des arguments commerciaux en faveur d’un modèle qui nous semble sain, nous devons nous rendre à l’évidence : nous ne gagnerons pas sur ce terrain. La seule réponse efficace sera politique. Soit les ligues/fédérations, les clubs ou les joueurs eux-mêmes décident de donner une voix aux suiveurs en les intégrant dans leur mode de gouvernance, soit les lois européennes changent pour protéger davantage le sport de l’économie de marché.

Nous pensons que mieux informer les fans est une première étape indispensable. Trop souvent, les médias sportifs tombent dans la facilité quand il s’agit de traiter des questions économiques ou de gouvernance et cherchent à indigner plus qu’à expliquer. En face, la désinformation est organisée. Nous nous engageons donc à vous aider à y voir clair, à publier des analyses détaillées pour permettre de choisir quel modèle et quels acteurs soutenir. Et à vous proposer à terme les relais pour que votre voix soit entendue.

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